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Un temps exécrable

Dans quelques dizaines de minutes, maman rentrera et ma solitude se terminera. Sous ses regards accusateurs, je me sentirai alors obligée de quitter péniblement ma place devant l'ordinateur pour prendre le livre que je dois lire pour l'école (Germinal) ou j'empoignerai quelques feuilles de papier blanc que je fixerai sans me décider à rédiger enfin mon rapport de stage. Je n'ai pas envie de le faire par paresse et à cause de la certitude qu'il sera trop petit par rapport à ceux des autres. Je n'ai pas à m'en vouloir de ne pas avoir interrogé les pharmaciens sur leur travail : n'étais-je pas malade comme un chien ? N'ai-je pas eu le courage de me traîner jusqu'à eux alors que la veille, j'étais atteinte d'au moins 39 de fièvre ? Et comment veulent-ils ces professeurs que je remplisse comme les autres une vingtaine de pages tapées à l'ordinateur sur une petite entreprise ?

Plus que trois jours avant la rentrée... Je ne veux pas retourner à l'école. C'est vrai que dans ma classe, les gens sont gentils. Mais je me demanderai encore comment être, comme je me demande sur ce journal, comment écrire pour paraître plus "vrai" et toucher les gens. Je devrais plutôt ne pas faire attention à eux, imaginer que personne ne viendra, que personne ne verra, que personne ne lira, malgré cette grosse difficulté. Quand j'écrivais dans mon journal intime sur papier, j'écrivais accompagnée constamment de la crainte que quelqu'un le lirait un jour : je modérais toujours inconsciemment mes paroles. Là, j'ai peur de la façon dont on me percevra après ces lignes... Je ne sais vraiment comment écrire pour avoir une bonne image de moi : une authentique image de moi. Je ne sais que dire. Raconter ma journée ? C'est d'un répétitif : je suis toujours chez moi, à finir à toute vitesse Germinal avant la rentrée, à ne pas faire mon dossier de stage, à lire les journaux des autres consciente que ça influencera inévitablement le mien, à rester sur msn à fixer les autres dans l'espoir vain que si je leur parlais les conversations ne tomberont pas mortes comme des mouches, et à tourner ma tête vers la fenêtre.

Hier, il y avait de la neige. Avant, j'étais contente de cette mousse matérielle blanche, j'étais contente grace à tous ceux qui en étaient contents : dans les livres, les personnages s'émerveillaient de cette matière ; à la télé, les enfants jouaient dans la neige ; et dehors, mes camarades se réjouissaient en se lançant des boules de neige. Je voulais être dans le même moule alors j'aimais aussi la neige. Maintenant, je n'aime pas la neige : neige entraîne verglas entraînant chutes. La neige, c'est glacial. Mes mains tremblent rien qu'en la touchant. Sensation désagréable. Malgré son apparence, sa matière n'est pas semblable à du coton que j'exècre d'ailleurs à cause du léger grincement que fait son déchirement : non, ce n'est pas doux du tout : les morceaux s'éboulent, le contact est violent. D'autant plus qu'on tombe malade quand la neige tombe. Certains aiment se batailler avec elle. Pas moi. Je n'aime pas me geler les mains au travers de mes gants par les boules de neige qui sont difficiles à modeler à cause de sa matière et je n'aime pas recevoir sur mon corps le froid intense de la glace qui augmente en fondant sur ma peau chaude. Dieu ! Je ne voudrais pas sortir dehors sous la neige. Rester à l'intérieur à l'observer me suffit !

En plus, la robe blanche qu'a enfilé ma ville éblouit de trop mes yeux. Non, la neige n'est pas pour moi. Je songe surtout aux SDF, et je me demande où logent-ils, où dorment-ils sous ce temps affreux. Dans le métro ? Quel endroit pleins de saletés ! Quand j'étais petite, c'était mon lieu de cauchemar... Grace aux associations ? Il y en si peu par rapport aux clochards !

Je suis bien heureuse que la neige ait fondu car j'ai l'intention de sortir faire un tour à la librairie pour m'acheter un mini porte-vues (pour le rapport de stage) et un journal "le monde" (je tiens tout de même à tenir ma résolution au moins pour quelques mois ! ), et à la bibliothèque rendre des livres que je n'ai même pas lu. En ce moment, je supporte peu les livres enfantins tels que Sigrid ou les orphelins baudelaire... C'est étrange, j'ai eu de la difficulté à lire la huitième couleur de Terry Pratchett (que je n'ai même pas fini d'ailleurs) alors que j'en ai vanté les mérites partout sur msn. Ces mondes sans gravité, faits pour amuser ou pour séduire dans leur originalité m'exaspèrent peu à peu. Aucune gravité, aucune profondeur : je ne parviens pas du tout à m'identifier à eux, malgré l'attachement que j'éprouve pour quelques personnages. Ce n'est qu'une passade. Je vais me remettre à aimer ces livres quand je serai d'humeur plus joyeuse.

Cela m'énerve de lire les journaux des autres, car je m'aperçois que je m'empare parfois de leurs idées, de leurs pensées, de leurs impressions, de leurs goûts pour les mettre dans mon journal. C'est presque du copier-coller... Je devrais arrêter pendant un temps de lire les autres diaristes. Je veux être moi ! Je veux avoir mes idées sans constamment les prendre à côté, dans les livres, dans les films, dans les citations ou autre. Et même si on est tous influencé par les choses autour de soi, je voudrais chercher des choses en moi, sans être tout le temps influencée ! Chercher en moi... Je n'ai pas beaucoup de choses en moi, car je ne suis pas encore construite : à quatorze ans, l'est-on vraiment ? Je suis si jeune, j'ai si peu d'expérience... L'âge n'a pas d'importance : dans mon cas, dans le cas de l'adolescence, si : elle détermine le recul suffisant des choses. Mais malgré cette jeunesse comparé à la vieillesse de tas de gens, j'ai l'impression moi aussi d'être vieille, d'avoir vécu longtemps... C'est parce que j'ai une bonne boite à souvenirs des ans et que je la garde précieusement et que je ne vire pas les souvenirs de la boite.

Ecrit par Intouchable, le Vendredi 2 Janvier 2004, 13:23 dans la rubrique Premiers Pas.

Commentaires :

Anonyme
06-01-04 à 22:56

C'est assez étrange de vouloir cesser de lire les autres. C'est par les autres que l'on existe, par les autres que l'on est soi . comment veux tu être toi par toi-même?

C'est en imitant aussi que l'on devient soi même. En prenant un petit bout de chacun, en s'impregnant d'eux que l'on forge sa personnalité. Si ce que tu écris n'est qu'un patchwork de leur idées, alors ce ne sont plus Leurs idées mais ta propre interprétation, donc toi. tu n'as pas appris a marcher, à parler seule, tu as copié. Ce que tu sais, tu l'a appris des autres. Si tu reste dans ta bulle, si tu ne t'inspire pas de ce qu'ils disent alors tu t'étioles, et ta personnalité n'est plus réduite qu'à une mince trame de pensées fugaces.

Et copier les autres n'est pas un mal. c'est plutôt flatteur non, de penser que ta vie, tes pensées, tes avis, sont assez bons pour être répétés?

Je ne sais pas si ce que je viens de rie est clair mais je tenais quand ^même à le dire.

Nef

ps : j'ai adoré avoir quatorze ans...

 
Intouchable
08-01-04 à 13:42

Re:

Je comprends bien tes paroles. Et il faut dire que je n'y avais pas pensé du tout.

Si je préfère être seule, je vois maintenant que c'est par facilité. Quand on est seul : pas besoin d'essayer par la communication ou les actes de montrer son "soi".

Le problème, c'est que j'ai cette horrible impression d'avoir l'incapacité de penser réellement par moi-même. Lors des questions au collège, lors des "qu'en pensez-vous" à propos d'un document que tous analysent avec facilité, moi, je me sens égarée. Je ne sais jamais que penser des choses. Et souvent, je ne parviens pas à penser toute seule, sans avoir lu quelque part la même chose. C'est vrai, j'interprête à ma manière ces choses écrites, mais c'est comme être une photocopieuse dans ce cas.

Bien sur, je pense, et c'est seulement entrée dans une grande réflexion que je peux donner mon opinion. Mais il y a tellement de choses dans le monde auxquelles je n'avais jamais pensé ! Je ne pense peut-être pas assez, qui sait ?


 


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